Friday 30 January 2009

Depardon Cinéaste



Raymond Depardon et les paysans, c'est l'histoire (ou peut être l'obsession) d'une vie. Lui même fils de paysan, il ne cache pas, lors d'un entretien aux cahiers du cinéma, avoir voulu panser une blessure de cinéaste, "celle de n'avoir pas pu, su ou voulu filmer son propre père dans la ferme familiale du Garet".

Son dernier film, La Vie Moderne est l'aboutissement d'un incroyable travail documentaire sur le monde paysan commencé 10 ans auparavant. Si à la base le projet devait être un triptyque en 3 volets intitulé Profils Paysans et financé par Arte, pour le dernier volet, Raymond Depardon a choisit de s'émanciper, de "passer de l'audiovisuel au cinéma" et de faire gagner en ampleur à son film.

Produit par sa femme, qui est aussi son ingénieur du son, ce dernier volet a été tourné en binôme, entreprise familiale et artisanale, mais aussi, et contrairement aux 2 volets précédents, avec une caméra scope 35 mm, expérimentant au passage la souplesse d'une nouvelle caméra conçue spécialement pour ce film. (le principal avantage étant que les bobines durent 2 fois plus longtemps)

Volonté affirmé donc de la part de quelqu'un qui a toujours réduit l'appareil cinématographique au minimum et qui exècre la "performance cinéphilique" de s'affranchir et mettre en œuvre tous ses moyens pour rendre un hommage au monde rural.

Force est de dire que le pari est pleinement réussit, et que le film, ou "la captation de la parole l'emporte sur la restitution du travail", arrive à créer l'empathie avec ces paysans. Quelque chose passe, quelque chose de profondément sensible est transmis. Parfois moins par la parole que par les silences, lourds de sens, prodigieux silences de paysans. Le film commence et finit par un travelling, la boucle est bouclée, c'est avec nostalgie que Raymond Depardon quitte - et nous fait quitter - cette incroyable expérience humaine et cinématographique.

Le cinéma de Depardon a toujours été affaire de temps et de distance. Le cinéma documentaire est avant tout une expérience humaine, un rapport à l'autre. C'est cette distance là que cherche Raymond Depardon, une distance faite de respect et d'humilité, savoir ne pas s'imposer, être à bonne distance de son sujet et le laisser vivre, Raymond Depardon le fait magnifiquement. Il lui a fallu 10 ans pour gagner la confiance et pouvoir filmer ces paysans, et cette proximité (humaine, pas cinématographique) est sensible.
Enfin, le cinéma documentaire de Depardon est un cinéma en plan séquence, il sait et aime faire durer les choses, encrer ses images dans une réalité, laisser se dérouler l'action. C'est avec une évidente sagesse, peut être dû à son passé de photographe, qu'il sait aborder et filmer les gens.

" Chaque cinéaste a le devoir moral de son plan, et le temps réel en est une garantie. Ce plan est sensible. Sensible à cause de la tentation de vouloir le réduire, de prendre seulement la partie la plus spectaculaire, la plus esthétique, ou celle qui exprime le plus de compassion.

Vous pourriez me reprocher de faire mon cinéma avec ça, je sais seulement que l'insistance rend ce plan moins fragile en quelque sorte, plus riche parce que moins réducteur (...) . "

Raymond Depardon - Errance

Enfin, le travail vidéo de Depardon s'expose en ce moment (et jusqu'au 15 Mars 2009) à la Fondation Cartier, dans le cadre de l'exposition Terre Natale, Ailleurs commence ici. Une autre manière d'aborder le regard sur le monde de ce cinéaste passionnant.

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